Du théâtre pour dénoncer les injustices

« Du gravier dans les chaussures » est une pièce de théâtre écrite et jouée par des jeunes engagés dans le mouvement Luttes Solidarités Travail (LST)[note]Luttes Solidarités Travail est un mouvement de lutte contre la pauvreté. Depuis plus de 40 ans, LST rassemble des personnes et des familles parmi les plus pauvres, et d’autres qui leur sont solidaires. LST est aujourd’hui présent à Namur, Andenne, Ciney-Marche, en Hainaut et à Tubize.[/note]. Après avoir présenté cette pièce à Bruxelles le 17 octobre dans le cadre de la Journée mondiale du refus de la misère, la troupe s’est rendue à Liège pour une nouvelle représentation. Camille Piesseveux, étudiante du Kap Quart, est allée à leur rencontre.

Mercredi après-midi, je découvre un mail reçu d’ATD Quart Monde : une invitation à aller voir une pièce de théâtre jouée par le groupe des jeunes d’LST de la ville d’Andenne, suivie d’un échange avec le public, ce samedi à Liège. C’est vrai, cette nouvelle arrive un peu tard et l’agenda est serré, mais ceci ne peut pas être une raison pour rater ce rendez-vous qui pourrait devenir unique.

J’ai envie de rencontrer ces jeunes issus d’un milieu social différent du mien, j’ai envie d’entendre ce qu’ils ont à dire sur leur vécu, j’ai envie de comprendre leur lutte de tous les jours contre la pauvreté. En route pour Liège, donc.

LES DÉBUTS DU PROJET ET LA PIÈCE

Il y a deux ans, le groupe des jeunes de LST s’est lancé un nouveau défi : créer et jouer une pièce de théâtre. Leur motivation ? Porter un message collectif de lutte contre des situations d’injustice. Passer de l’ombre à la lumière pour interpeller et susciter une réflexion.

photo © Julian Hills – hools

Un metteur en scène est contacté, des idées rassemblées, des répétitions organisées les jeudis soirs : la mécanique se met en route. Mais dès le début, se rassembler est un réel défi :

« La peur du quotidien prend le dessus et nous empêche souvent de pouvoir nous investir ailleurs. Il est difficile de rejoindre un groupe quand nous sommes sans cesse méprisés. Il faut prendre confiance en soi et les autres pour pouvoir raconter sa vie, c’est quelque chose de très intime. Au début, certains ne parlaient pas. Au fur et à mesure on commence à oser, grâce au théâtre ».

Le public s’installe, la lumière s’éteint, le spectateur racle une dernière fois sa gorge…le spectacle commence !
J’ai vu sept jeunes sur scène qui rejouent des situations vécues personnellement.
J’ai ressenti de la colère, du désespoir et en même temps du plaisir à jouer.
J’ai entendu de la souffrance devant l’exclusion répétée ; à l’école, au travail, à l’aide sociale…

« C’est à partir d’un gravier coincé entre la semelle et la plante du pied qu’on s’est reconnu. Le théâtre nous a permis d’enlever quelques graviers pour pouvoir mieux avancer. Là on ose s’exprimer et on se sent enfin écouté. »

photo ©Victoria Le Polain

ÉCHANGES AVEC LE PUBLIC

Après la pièce, les spectateurs dialoguent avec les acteurs :

« J’ai grandi dans la pauvreté. Je veux vous dire les jeunes : pour survivre dans notre système injuste, il faut avoir la volonté de se battre contre toutes les difficultés. Il ne faut pas pousser une porte, mais en défoncer dix. »

« Je peux vous dire que nos jeunes se battent et résistent vraiment tous les jours. Mais parfois on est face à un système qui ne permet plus de se dire que c’est suffisant d’en vouloir. Pour être dans des lieux de rassemblement depuis une dizaine d’années et pour être au quotidien avec des jeunes, des enfants, pour qui leur quotidien est un combat permanent et sans cesse, pour garder son logement, ses enfants, le peu de revenu qu’on a…la volonté de se battre, ils l’ont tous. Mais parfois, le système actuel fait que cela devient impossible de s’en sortir, seul en tout cas. Lorsqu’on se présente dix fois, vingt fois pour obtenir un emploi, comment alors est-ce qu’on peut encore garder espoir ? Quand on est dans la peur permanente et le mépris au quotidien, comment on peut encore garder espoir ?  Il ne suffit pas d’en vouloir. Il faut se mettre ensemble pour se demander comment changer les choses pour garantir un avenir. Dans notre mouvement on essaie de se donner la force en se mettant ensemble pour exprimer ce que quantité de jeunes vivent ».

« On n’a pas tous les mêmes chances dans la vie. Je crois que c’est un mythe de penser qu’il y a un boulot pour tout le monde. Ce que vous vivez, ce sont des inégalités dans une société telle qu’elle est. J’ai aussi envie de dire : je n’ai pas envie de me battre moi pour avoir une place dans la vie. On ne devrait pas à avoir se battre ».

« Votre pièce m’a fort touchée. Je me suis reconnue dans beaucoup de choses. J’en avais presque les larmes aux yeux. J’ai arrêté l’école à 15 ans parce que je n’arrivais plus à y aller. J’ai subi le harcèlement… ça m’a traumatisée. Mes parents pensaient que je ne voulais juste rien faire à l’école et m’ont donc dit d’aller travailler. Je me suis trouvée à faire plusieurs apprentissages. C’est cette année, à 25 ans, que j’ai retrouvé le courage de reprendre des études ».

photo © Julian Hills – hools

Bruno Hesbois, metteur en scène, explique en quoi ce projet est spécial pour lui : « Dans le cadre de mon métier je travaille avec beaucoup de jeunes de milieux différents. Ce qui m’a particulièrement marqué ici, c’est que j’ai ressenti une motivation du début à la fin parce qu’il y avait une vraie volonté de défendre ce qui était dit. Je sais qu’à l’école, c’était pour la plupart, des « fouteurs de merde ». Alors que pour le théâtre, ils étaient bien présents, ils ont appris leur texte, ils étaient à l’heure… Tout cela pour dire que, même si dans le système scolaire c’est parfois difficile, cette pièce est la preuve que dans d’autres types de projets les choses peuvent bien fonctionner ».

« Ce qui me fait de la peine, c’est que – moi j’ai 55 ans – il y a 40 ans c’était déjà comme ça. C’est ça qui est triste. En plus, je pense que les jeunes ont plus dur maintenant. J’ai beaucoup de respect pour ces jeunes. J’ai envie de vous dire : courage…mais ça ne suffit pas…il faut ne pas rester seul ».

« J’ai envie de dire chapeau à vous, non pas uniquement pour votre spectacle, mais surtout à vous. Parce que vous n’avez pas une vie facile, mais au lieu de dégringoler du mauvais sens, vous faites du théâtre pour vous exprimer. Je trouve ça magnifique ».

INTERVIEW DES ACTEURS

Après une petite pause café-clope-pipi, je me retrouve maintenant toute seule avec les jeunes acteurs autour d’une table… « J’ai encore des choses à demander, vous êtes d’accord ? », « Oui bien sûr », répondent-ils avec enthousiasme.

Les acteurs : Audrey Gilles, Mélissa Pedinelli, Julien Pierre, Tiffany Ruitenbeek, Alexia Thomas, Laura Thomas, Xavier Verbeke.

photo © Julian Hills – hools

Les voix s’unissent pour ne faire qu’une… Pourquoi est-ce important pour vous d’être impliqués dans le groupe jeunes de LST ?

On reçoit des armes pour s’exprimer. On apprend à mettre des mots sur ce qu’on vit.

Le fait de se rassembler et de ne pas rester seul avec ce poids permet à chacun de cheminer dans sa propre histoire.

Au début, le théâtre on l’a fait pour nous. Pour nous soulager. Après on a vu qu’on devenait de plus en plus fort. Et maintenant, on le fait aussi pour atteindre de plus en plus de jeunes. Principalement ceux qui n’ont plus de force pour se battre, pour les encourager à s’exprimer.

Depuis que je fais du théâtre, j’ose aussi plus parler ailleurs, en classe par exemple. Avant, j’avais plus peur des jugements et des critiques.

Que ressentez-vous lorsque vous êtes confrontés à des jeunes qui eux ont plus d’argent, plus de possibilités dans la vie, une famille ou un job comme vous auriez aimé avoir ?

J’ai envie de dire : tant mieux pour eux. Ils ont de la chance. C’est vrai que ce n’est pas facile parce qu’on doit se priver de beaucoup. Mais en même temps, on sait que l’argent ne fait pas le bonheur. On comble le manque par autre chose, on compense. On essaie toujours de s’en sortir.

Moi aussi j’aimerais bien avoir un boulot pour lequel je me réveille de bonne humeur le matin parce que j’aime ce que je fais. Mais sans diplôme et sans expérience en sortant de l’école, tu ne sais simplement pas avoir le boulot dont tu rêves.

J’ai fait des études de puéricultrice parce que j’adore les enfants, j’aurais bien aimé travailler là-dedans mais malheureusement, j’ai galéré pendant ma dernière année d’études. Je ratais et recommençais mais à chaque fois j’étais bloquée à un moment donné par des situations injustes et des personnes qui t’écrasent. C’est pour ça que je me suis dit que c’était mieux pour moi d’arrêter mes études et de commencer à travailler. A un moment t’en peux plus de galérer et de ne finalement pas atteindre le but que tu veux. C’est pour ça qu’alors t’abandonnes. Ce n’est pas qu’on ne veut pas, c’est juste que dès fois on n’a pas le choix.

Camille Piessevaux, étudiante du Kap Quart

Cet article est paru dans une première version plus courte au sein du 103ème numéro de notre revue Partenaire.

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