Carte blanche : 2e partie de la réaction à l’Accord du Gouvernement du 30 septembre 2020

Suite à l’Accord du Gouvernement du 30 septembre 2020, Georges de Kerchove, au nom du Mouvement, a écrit une carte blanche en réaction dont voici la deuxième partie. Elle fût publiée dans le Vif le 23 décembre 2020.

Retrouvez la première moitié ici.

 

Monsieur le Premier ministre,

Je poursuis et termine la lecture de votre Accord de Gouvernement et me propose d’aborder la chapitre intitulé Vivre ensemble. Rien que ce titre constitue un programme en soi ! En cette période de confinement où nous aspirons à nous revoir pour faire la fête, vous auriez pu l’illustrer par un dessin : une immense farandole rassemblant tous les habitants du pays qui chanteraient à l’unisson sur l’air des lampions : vivre ensemble, libres ensemble, égaux ensemble.

Je me suis alors posé la question de savoir si tout le monde aurait bien sa place dans cette farandole. À qui pensez-vous quand vous parlez d’égalité des chances et puis sur un ton un peu militaire de lutte contre la discrimination ?

À première vue, l’Accord ratisse large : il a l’ambition d’intensifier la lutte contre toutes formes de discrimination, telle que prévue par la loi. J’adhère à cette ambition sans réserve et vous pouvez compter sur moi pour la réaliser. Vous citez à juste titre les discriminations fondées sur le racisme et vous insistez sur l’égalité des genres. Même si elles sont prévues par la loi, il y a encore du pain sur la planche dans ces domaines. Que de fois parce qu’une personne porte un nom à consonance étrangère, l’appartement à louer n’est brusquement plus disponible ou l’emploi offert n’est soudainement plus vacant ! En termes de genre, comment éviter que les femmes continuent à être deux fois plus nombreuses que les hommes dans les files pour obtenir une aide alimentaire ?

Des discriminations d’un autre type existent, on en parle moins, mais elles sont tout aussi présentes et stigmatisantes, encore qu’elles ne soient que rarement prévues par la loi. Une exception notoire toutefois : les marchands de sommeil sont sanctionnés quand ils abusent de la vulnérabilité de leur victime, caractérisée entre autres par leur situation sociale précaire. Rien n’empêcherait d’étendre cette notion de situation sociale précaire à d’autres aspects du vivre ensemble.

On a forgé un néologisme pour désigner ces discriminations: la pauvrophobie. Faisons preuve d’audace : pourquoi ne pas mentionner explicitement la discrimination pour cause de pauvreté ? La Convention européenne des droits de l’homme nous ouvre des portes. Elle interdit toute discrimination fondée sur l’origine sociale ou la fortune. Il ne s’agit donc pas d’inventer de nouveaux concepts juridiques, mais de traquer les discriminations rampantes et récurrentes qui font obstacle à la jouissance des droits et libertés des plus vulnérables d’entre nous.

La misère est violation des droits humains et c’est au nom de ceux-ci que je vous invite à mentionner explicitement cette discrimination dans votre Accord. Mais je veux être clair, il faudra alors en réécrire certaines pages. Dans une lettre précédente, je pointais du doigt les discriminations subies par les allocataires sociaux, qui font obstacle au droit de vivre en famille.

Mais il vous faut également réécrire les paragraphes du chapitre Migration consacrés au regroupement familial. Qu’est-ce à dire concrètement ? Selon la réglementation actuelle, une personne qui souhaite faire venir son conjoint en Belgique, doit justifier d’un revenu supérieur à 1.555 € par mois, et en outre, tout revenu du CPAS est d’office exclu. Ne sont donc pas autorisés à vivre en Belgique avec leur conjoint venu de l’étranger, la plupart des allocataires sociaux, et tous ceux qui émargent au CPAS.

Vous allez me répondre que je nage à contre-courant et que notre pays ne s’est pas (encore) fait condamner pour cette pratique, mais je maintiens qu’on a franchi une ligne rouge : sur la base de la fortune, elle introduit une discrimination qui fait obstacle au droit de fonder une famille.

Certes, le sujet est politiquement sensible. L’Accord n’a pu être obtenu après autant de mois de tractations que parce que tous les partenaires de la coalition ont mis de l’eau dans leur vin. Je peux comprendre tous ces compromis à la belge. Mais le respect des droits de l’homme n’est pas négociable. Jamais.

Notre farandole du vivre ensemble partirait d’un mauvais pied si d’emblée, par des mécanismes discriminatoires, elle ne donne pas aux plus vulnérables d’entre nous la liberté de vivre avec un partenaire de leur choix…

Et si nous prenions pour 2021 un engagement fort : traquer ensemble et sanctionner toutes les formes de discrimination fondées sur la situation sociale précaire. Alors, et seulement alors, un véritable vivre ensemble pourrait prendre corps.

Georges de Kerchove

Membre de l’équipe nationale du Mouvement ATD Quart Monde en Belgique

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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