Des primes qui dépriment les ménages mal logés

À l’occasion du séminaire organisé le 26 juin 2024 au Résidence Palace à Bruxelles, le Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale a demandé au Mouvement ATD Quart Monde une contribution pour l’atelier de travail consacré au thème des subsides et primes accordés aux rénovations durables. Pour préparer cette intervention, des militants du Mouvement se sont réunis à deux reprises et ont examiné dans quelle mesure les personnes en situation de pauvreté pouvaient bénéficier de ces primes.

À partir de leur expérience, ils ont analysé les différents mécanismes des primes, avec une attention particulière pour la prime MEBAR octroyés par la Région wallonne « aux ménages à revenu modeste ».

Nous reproduisons telle quelle l’intervention des militants qui a largement inspiré les débats du groupe de travail consacré à cette thématique.

Voici le texte de leur intervention

Jessica : je m’appelle Jessica et je prends la parole avec Benoit. Nous habitons tous les deux à Liège et nous avons préparé notre intervention avec un groupe d’une quinzaine de militants du Mouvement ATD Quart Monde venus de différentes régions de la Belgique. Nous nous exprimons donc en leur nom.

Nous nous sommes d’abord posé une question : c’est quoi un logement durable ? cette question est essentielle puisque les primes à la rénovation visent précisément à rendre un logement plus durable.

Ceux qui octroient des primes pensent d’abord à une bonne isolation, à des châssis à double vitrage, à des panneaux solaires, à des chaudières à meilleur rendement, ou à des matériaux respectueux de la nature. Ou encore à des prêts avantageux qui permettent de financer des travaux.

Pour nous, un logement ne peut être durable que si tous les habitants du pays, sans exception, disposent durablement d’un logement décent. C’est d’ailleurs inscrit à l’article 23 de la Constitution. Mais en réalité, on en est loin. Il suffit de se promener en rue, dans n’importe quelle ville du pays, pour constater qu’un nombre de plus en plus important de personnes dorment à la rue. Beaucoup de familles que nous connaissons doivent déménager souvent, parfois même plusieurs fois par an. Elles sont hébergées de façon précaire. Je pense par exemple à cette famille de 5 enfants hébergée provisoirement dans une maison du CPAS de Liège, elle doit quitter son logement de transit dans quinze jours et ne sait toujours pas où aller. Si je lui parlais d’une prime à la rénovation, elle me répondrait, et avec raison : ce n’est pas pour nous.

Cette famille n’est pas un cas isolé. Pour les nombreuses familles qui vivent dans la même insécurité du lendemain, un logement durable, c’est d’abord un logement où on peut durablement vivre, sans crainte d’être mis dehors à tout moment. Il faut donc un bail écrit qui protège le locataire. Cependant, des propriétaires refusent de faire un bail écrit. Nous, on est désarmé face à ce refus, on n’a pas le choix surtout si on doit déménager en urgence. Les gens qui ont les moyens, déménagent pour aller vers un mieux. Nous, trop souvent, on déménage en catastrophe, et c’est pas pour un mieux… N’oublions pas que, dans le privé, des propriétaires refusent systématiquement des candidats locataires qui dépendent du CPAS ou qui sont des allocataires sociaux. Par ailleurs, quand on est sur une liste d’attente pour un logement social, cela dure des années.

Un logement durable, c’est aussi un logement sécure et salubre où on peut vivre en bonne santé. Que de fois, nous acceptons un logement inadapté, sans le moindre confort, qui ne répond pas aux normes de sécurité. Un logement qui est terriblement humide, avec des traces de moisissure sur les murs. Mais nous n’osons rien dire : c’est ça ou la rue, et se retrouver à la rue, pour des parents, c’est risquer de voir ses enfants placés. Cela permet à des propriétaires de ne pas respecter les règlements, et de louer des logements insalubres. C’est sans risque pour eux et en toute impunité.

Benoit : de nombreuses primes sont réservées aux propriétaires de logement. Des prêts avantageux sont certes octroyés à des personnes à faible revenu qui veulent devenir propriétaire. Dans notre groupe de préparation de 15 personnes, une seule a réussi à devenir définitivement propriétaire de la maison qu’elle habite. Un couple qui a pour tout revenu une allocation de la Vierge Noire a pu acquérir un bungalow-caravane dans un camping permanent, en principe réservé aux vacanciers. Comme beaucoup d’autres, il avait signé un contrat de location avec option d’achat, mais il est un des rares à avoir pu payer le montant mensuel pendant toute la durée du contrat. Une autre participante avait acheté avec son mari une maison grâce à un emprunt hypothécaire, mais suite à une séparation, elle a tout perdu, la banque a mis la maison en vente forcée, et elle s’est retrouvée avec des dettes. Donc, pour nous, devenir propriétaire, même avec les aides, reste une exception.

Les primes ou subsides réservés aux propriétaires laissent par définition de côté ceux qui n’accèdent pas à la propriété. Ceux-ci sont doublement lésés : ils ne bénéficient pas de primes, et par ailleurs des propriétaires qui font des rénovations grâce aux primes en profitent souvent pour exiger une augmentation du loyer, même si normalement, ils ne peuvent pas.

À partir de cet exemple, nous voyons que des primes accordées au propriétaire d’un logement loué, peuvent se retourner contre le locataire. De même, le bail peut être résilié si le propriétaire entreprend des travaux importants de rénovation. Ici encore le locataire est victime. Comment éviter ces effets pervers puisque les primes soutiennent en principe les ménages ou locataires à faible revenu ? Faut-il encadrer le loyer ? Y-a-t’il d’autres perspectives ?

Jessica : Benoit vient d’expliquer pourquoi les primes réservées aux seuls propriétaires peuvent se retourner contre les locataires, surtout les plus vulnérables. Il faut donc en bonne logique que les locataires aient accès à ces primes, ce qui devrait être systématiquement le cas. Seront-ils pour autant assurés d’en profiter ?

Non. Je pointe différents obstacles :

  • Il faut d’abord qu’il y ait un bail dans la durée. Nous avons vu que plusieurs d’entre nous n’ont pas de bail écrit. Comment demander une prime si le propriétaire refuse de donner un bail, ou s’il ne donne pas son accord pour l’octroi de la prime, ou encore s’il assortit son accord à une augmentation du loyer ?
  • La plupart d’entre nous ignorent que des primes sont possibles et ne les demandent pas. Ainsi, par exemple, en Wallonie, le fonds qui aide les personnes à acheter des appareils permettant d’économiser la consommation d’eau, est très peu utilisé. À peine 8 %.1
  • Ceux qui sont au courant de l’existence d’une prime, doivent remplir des formulaires avec des mots incompréhensibles, suivre le dossier administratif, faire des démarches compliquées. Il faut en outre un minimum de connaissance technique pour savoir ce qu’il faut faire. Cela laisse de côté ceux qui ne savent ni lire ni écrire, ou qui ne parlent pas la langue de la région.
  • De nombreuses primes ne sont octroyées que si les travaux sont réalisés par des corps de métier agréés. Cela veut dire qu’il faut d’abord payer les travaux, et qu’on est remboursé par après. En d’autres mots, si on n’a pas une grande épargne, la prime vous passe sous le nez…

Benoit : Suite à ce qui a été dit, au nom des militants du Quart Monde, je voudrais dégager quelques pistes de réflexions.

Pour soutenir les ménages et les locataires à faible revenu pour qu’ils accèdent à un logement durable, il faudrait :

  • 1. Mettre définitivement fin à la pénurie de logement. Tant qu’il n’y a pas assez de logements décents pour tous les habitants du pays, les propriétaires profiteront de la situation et il y aura des abus non sanctionnés. Nous demandons donc d’abord une chose très simple : que les lois en matière de logement soient respectées.
  • 2. Donner priorité aux primes qui sont accessibles aux locataires, comme par exemple la prime Mebar en Wallonie, mais en veillant à ce que ceux qui sont amenés à souvent déménager ou ne rentrent pas dans les cases ne soient pas laissés de côté. Eux aussi devraient pouvoir bénéficier des primes à la rénovation.
  • 3. Mieux informer les locataires et les accompagner dans leurs démarches pour obtenir une prime. De bonnes pratiques existent, mais il faut les généraliser.
  • 4. Trouver des solutions pour que celui qui demande la prime ne doive pas faire l’avance des frais. Si comme dans certains cas, on permet à la personne d’effectuer des petits travaux elle-même sans passer par des firmes agréées, encore faut-il qu’elle soit compétente pour les exécuter. Un accompagnement technique doit être possible.

Enfin, voici deux recommandations :

  • Avant de mettre en place un système de prime, réfléchir avec les personnes en situation de pauvreté qui sont censées en bénéficier. Leur expérience est indispensable et une concertation préalable permettrait d’éviter de nombreuses erreurs.
  • Évaluer les projets en se référant à la population la plus mal logée, et aménager les conditions d’accès pour que cette population puisse en bénéficier

Suite à tout ce qui vient d’être dit, nous sommes persuadés que si les personnes les plus mal logées, ne sont pas laissées de côté, ces primes contribueront aux objectifs de développement durable adoptés par l’ONU.

En résumé, nous pouvons tirer deux conclusions de cette analyse :

  1. Les personnes en précarité ne bénéficient que très rarement de primes de rénovation qui comme celles du plan MEBAR II affichent pourtant l’ambition d’accorder une subvention aux ménages à revenu modeste. Ces personnes ne répondent pratiquement jamais aux conditions prévues par les dispositifs des différentes primes. Ces primes inaccessibles aux plus modestes illustrent de façon interpellante « l’effet Mathieu »2 dénoncé par les sociologues. Pour le dire de façon plus carrée : par l’effet de ces primes, les riches deviennent plus riches et les pauvres plus pauvres.
  2. La démarche proposée par l’analyse des militants est radicalement différente : aussi longtemps qu’il existera une pénurie de logements décents, « l’effet Mathieu » jouera inévitablement, quelles que soient les aménagements ou assouplissements qui pourraient être apportés aux mécanismes d’octroi des primes.

Ces conclusions révèlent les angles morts des systèmes d’octroi des primes de rénovation. Elles peuvent inspirer notre pays qui doit soumettre un Plan Social pour le Climat à la Commission européenne d’ici le 30 juin 2025 afin de pouvoir bénéficier des ressources du Fonds Social pour le Climat. Celui-ci ambitionne en effet d’apporter un soutien global aux personnes vulnérables et précise que les Etats membres doivent consulter les organisations de la société civile concernées.3

1Pourcentage cité par l’étude « logement durable : soutenir les ménages et les locataires à faibles revenus » publié par le Service de lutte contre la pauvreté en juin 2024 à propos du Fonds d’amélioration technique (page 17)

2Terme utilisé pour expliquer le fait que les personnes qui possèdent le bénéfice finissent par en obtenir davantage et que celles qui en ont moins, sont moins susceptibles d’y avoir accès.

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