Regard sur la campagne de Famille d’accueil

Carte blanche publiée dans la Libre le 29/8/24.

Tous, nous sommes interpellés par la campagne de sensibilisation médiatique lancée par l’ASBL « Famille d’accueil » pour recruter des accueillants familiaux susceptibles d’héberger, notamment dans la durée, des enfants séparés de leurs parents.

Cette séparation touche 7.000 enfants en Fédération Wallonie-Bruxelles, et selon la campagne, le nombre d’enfants ayant besoin d’une famille d’accueil, (c’est-à-dire prioritairement des enfants placés dans la durée) aurait fait un bond ces dernières années.

Voilà ce qui m’interpelle d’abord à un double titre : il y a toujours autant, si pas plus, d’enfants placés dans la Fédération alors que les professionnels s’accordent à souligner l’étroite corrélation entre placement et précarité des parents. En outre, ces placements s’inscrivent davantage dans la durée, comme si les parents avaient de plus en plus de mal à sortir de l’engrenage de la pauvreté.

D’où le premier message que je souhaite faire passer : affirmer que l’aide aux enfants en danger doit devenir une grande cause nationale, c’est envisager la question par le petit côté de la lorgnette. La grande cause nationale, c’est d’abord l’aide aux familles en difficulté pour leur permettre d’élever décemment leurs enfants. Une mère qui parlait d’expérience résumait bien la question : quand on doit lutter tous les jours pour assurer le minimum pour vivre, il est difficile de pouvoir tout assumer. Comment un enfant peut-il s’épanouir si ses parents ne disposent que d’un logement insalubre, ou à fortiori s’ils se retrouvent à la rue ou hébergés à gauche ou à droite chez des connaissances ? Toutefois, le problème du logement souvent cité comme un facteur clef de la pauvreté, n’est pas l’unique obstacle car la pauvreté impacte tous les aspects de la vie. Si nous voulons significativement diminuer le nombre de placements d’enfants, c’est d’abord ce défi là qu’il nous faut prioritairement relever.

Rappelons cette évidence : la pauvreté est une atteinte aux droits de l’enfant, elle affecte l’ensemble des droits de l’homme et de l’enfant.

Par ailleurs, je suis interpellé parce que la campagne occulte totalement la voix des parents d’enfants placés ou en risque de l’être. Je le sais, le sujet est délicat et le dialogue semé d’embûches, mais il y va d’une question de cohérence, d’un préalable incontournable. Le Décret du 18 janvier 2018 portant le code de la prévention, l’aide et la protection de la jeunesse est clair : l’aide et la protection à l’enfant en difficulté ou en danger se déroulent prioritairement dans le milieu de vie, l’éloignement de celui-ci étant l’exception, il affirme le droit de l’enfant d’entretenir des relations personnelles et des contacts directs avec ses parents en cas d’éloignement. Par essence, un placement est provisoire et il faut veiller à réduire autant que possible la durée de l’éloignement. Comment ce droit peut-il être respecté si les parents sont les grands absents de la campagne ? Comment cet objectif peut-il être atteint s’ils en sont dès le départ tenus à l’écart ?

Voici dès lors mon deuxième message : concevoir une telle campagne en reflétant uniquement la sensibilité des accueillants, aboutit tôt ou tard à une impasse. Cette façon de faire hypothèque lourdement une coopération entre ceux-ci et les parents, pourtant favorable au développement harmonieux de l’enfant. Elle risque d’exacerber une rivalité latente, et d’engendrer une méfiance réciproque. Elle fait dire aux parents dont l’avis n’est pas demandé : je n’aime pas les familles d’accueil. Elle zappe le fait que la majorité des enfants placés sont accueillis par des membres de la famille élargie, par exemple des grands-parents, ou des frères et sœurs.

Oui, accueillir un enfant dont les parents sont en difficulté, c’est beaucoup plus que de l’héberger, de lui donner un cadre de vie harmonieux et lui prodiguer de l’affection. C’est aussi continuer à aider les parents à garder, exercer ou à retrouver leurs responsabilités dans la mesure de leurs moyens, c’est contribuer à répondre à leurs difficultés, c’est mettre tout en œuvre pour maintenir le lien entre les parents et l’enfant. Si les accueillants ne tiennent pas compte de ces aspects, la double appartenance en soi délicate pour l’enfant sera encore plus difficile à vivre. Certes, la campagne précise qu’être parent d’accueil, ce n’est pas de l’adoption, mais j’aurais aimé que cette exigence formulée de façon lapidaire soit davantage développée. Il est essentiel que les candidats accueillants soient correctement informés de la nature des engagements qu’ils entendent prendre. À défaut, tout le monde est perdant.

Georges de Kerchove

Membre du Mouvement ATD Quart Monde

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