Relancer l’économie belge ? Pas sans les plus pauvres !

Lors de sa réunion du 20 juillet, le Kern (Conseil des ministres restreint composé de la 1ère Ministre et des vice-Premiers ministres) a demandé l’avis d’associations de lutte contre la pauvreté, dont ATD Quart Monde, pour relancer l’économie belge.
Nous avons déposé une note qui s’inscrit dans la dynamique du suivi du Rapport général sur la pauvreté (1994). Différentes associations partenaires à ce rapport, constituées dans la suite en collectif, se sont acharnées à faire entendre la voix des plus pauvres dans le débat public, notamment en contribuant aux rapports biannuels du Service de lutte contre la pauvreté. La note s’inspire largement de cette démarche sans laquelle elle n’aurait pas pu exister

Question 1 : Quels sont les principaux défis pour relancer l’économie belge ?

Le thème de la consultation porte sur « les mesures pour établir une base claire, efficiente et concertée permettant à la fois une reprise, une restauration des protections sociales et un redéploiement durable de notre économie».

La question posée se limite paradoxalement aux défis pour relancer l’économie.

Cependant, les défis sociaux et économiques sont intimement interconnectés et complémentaires. Les uns ne peuvent se concevoir sans les autres. La crise a ébranlé l’économie et révélé les lézardes de notre cohésion sociale en exposant en particulier les personnes vulnérables à une plus grande précarité encore. Ainsi, par exemple, les files pour les colis alimentaires qui se sont allongées témoignent, si besoin est, de ces failles qui fragilisent une population plus nombreuse.

Les personnes vivant en pauvreté disposent de moyen particulièrement limités pour contribuer à la relance de l’économie (illettrisme, pas ou peu de formation professionnelle, santé fragilisée par des conditions de vie difficiles, énergie polarisée par la survie immédiate, logement inadéquat voire absence de logement, isolement social et stigmatisation, moyens de déplacement limité dans des zones mal desservies par les transports publics, etc..).

Un renforcement de ces moyens en termes, par exemple, de formation accessible à tous et notamment aux illettrés (10% de la population) qui sont parmi les premières victimes de la fracture numérique (ce qui handicape la recherche d’emploi), de politique ambitieuse de logement (la première responsabilité d’un Etat n’est-elle pas d’assurer à chacun un logement décent ?), d’une sécurité d’existence portée au niveau du seuil de la pauvreté ( en 2014, le Gouvernement Michel s’était engagé à porter les allocations sociales au niveau du seuil de pauvreté européen), permettrait aux personnes les plus précarisées de contribuer à la relance économique. Se priver à priori de leur contribution au motif qu’elles seraient moins compétitives que d’autres, serait injurieux pour ces personnes et risqué pour la société.

Une politique qui présenterait les travailleurs les plus éloignés des circuits de travail, (entre autres, les chômeurs de longue durée) comme définitivement inemployables, et qui abandonnerait toute ambition de leur proposer un travail librement consenti, dans des conditions correctes moyennant un salaire équitable, hypothèque lourdement la relance de l’économie. En outre, elle irait à l’encontre des Objectifs de développement durable proclamés par les Nations Unies qui se donne pour fil conducteur de ne laisser personne de côté.

Question 2 : Quelles sont les actions/mesures à prendre pour rencontrer ces défis ?

Des mesures ont déjà été identifiées dans la question 1 et peuvent dans les grandes lignes se résumer comme suit :

Assurer aux travailleurs les plus éloignés des circuits de travail, et entre autres aux chômeurs de longue durée, le droit au travail librement consenti dans des conditions correctes et moyennant une rémunération équitable. En mobilisant tous les acteurs de la société, on peut l’atteindre cet objectif si on part d’abord des compétences et des projets de ces chômeurs, sans se laisser exclusivement guider par les besoins des entreprises. À cet égard, l’expérimentation française « Territoire Zéro Chômeur de Longue durée » peut inspirer une politique dynamique incluant les demandeurs d’emploi de longue durée. Il est indigne de les considérer comme « non mobilisables » et définitivement inaptes à intégrer un travail.

Avoir les ambitions d’un développement durable(Voir pour plus de détails le Rapport 2018-19 du Service de lutte contre la pauvreté ici ). La politique climatique et environnementale qui nécessite des mesures urgentes et nécessaires, doit,  « être socialement équitable, promouvoir la biodiversité, lutter contre la pauvreté et réduire les inégalités » ( Termes empruntés à la proposition de la loi CLIMAT initiée par les universités). Elle suppose une participation active des populations les plus défavorisées, prenant en compte leur expérience et l’analyse. Se soucier de notre planète et d’une prospérité suffisante, c’est toujours placer  les personnes (les plus vulnérables) et le vivre-ensemble dans la solidarité au centre de nos préoccupations. Les personnes en situation de pauvreté sont plus souvent exposées aux effets de la dégradation environnementale, etc., alors que, dans chaque pays, leur empreinte écologique est inférieure à la moyenne et que leurs moyens de protection/adaptation sont très limités. Cette politique ne peut atteindre ses objectifs que si elle s’accompagne d’une redistribution des richesses et des matières premières. Elle doit prévoir des systèmes de subventions qui garantissent avant tout que ces personnes les plus exposées puissent jouer leur rôle dans le progrès et ne soient pas exclues du champ d’action. À défaut, l’objectif numéro 1 du développement durable tel que défini par l’ONU « pas de pauvreté » reste lettre morte, ce qui met en péril l’ensemble des 17 objectifs.

Porter les allocations sociales au niveau du seuil de pauvreté européen. Aussi longtemps que ces allocations demeurent en dessous du seuil de pauvreté, le droit constitutionnel garanti à chacun de mener une vie conforme à la dignité humaine reste bafoué. Les personnes subsistant en dessous de ce seuil sont condamnées à la dépendance et à la survie précaire, elles sont privées de leur citoyenneté. Il est intolérable qu’en Flandre, un enfant sur cinq risque de grandir dans la pauvreté, en Wallonie un enfant sur quatre et à Bruxelles un enfant sur trois. Contraindre les personnes en situation de pauvreté à survivre par des colis ou même des chèques alimentaires, est en soi indigne. Par contre, restituer à ceux qui en sont privés un pouvoir d’achat décent en portant les allocations sociales au niveau du seuil de pauvreté, contribue en soi à la relance économique et rend les allocataires sociaux plus aptes à participer à cette relance.

Garantir à tous un logement décent tel qu’inscrit dans la Constitution, en menant une  politique ambitieuse de construction de logements sociaux adéquats et en prenant toutes les mesures garantissant qu’il n’y ait pas d’expulsion sans relogement approprié. Les logements sociaux disponibles continuent à faire cruellement défaut. De plus, dans les trois régions, les législations actuelles visent à favoriser les bailleurs au détriment du droit au logement pour tous, alors que la régulation des loyers constitue un levier particulièrement efficace permettant l’accès à un logement moyennant un prix abordable. L’absence de logement décent porte en outre atteinte au droit de vivre en famille puisque, selon les services de la jeunesse eux-mêmes, il y a une corrélation entre un logement inadéquat et le placement d’enfants.

Question 3 : Que doit comporter au minimum le plan de relance belge et que faut-il cibler en priorité ?

Les dimensions sociales et économiques de la relance sont intimement liées (voir question1) et privilégier les unes au détriment des autres, sous le prétexte qu’il faudrait d’abord faire repartir l’économie pour avoir les moyens du social, ne peut qu’aboutir à un déséquilibre préjudiciable à la relance. Cela reviendrait rapidement à creuser encore plus l’écart, l’inégalité et même l’injustice entre ceux qui possèdent avoir et savoir reconnu et ceux qui en sont dépourvus. Quelle serait le sens d’une locomotive qui se débarrasserait de ses wagons pour gagner de la vitesse et laisserait à quai les passagers plus vulnérables ?

Le plan de relance doit avoir en priorité pour objectif de permettre à tous d’y contribuer, avec comme fil conducteur de permettre à chacun de mener une vie conforme à la dignité humaine (article 23 de la Constitution).

En d’autres termes, le plan de relance doit mettre tout en œuvre pour rendre effective la citoyenneté de tous, avec comme critère que la voix des personnes en situation de pauvreté soient entendues dans le débat public (plus de détail le Rapport Citoyenneté et pauvreté 2016/17 du Service de lutte contre la pauvreté ici ).

Il s’agit d’un défi permanent qui engage la crédibilité de notre démocratie.

Les mesures minimales prioritaires du plan de relance peuvent dès lors se résumer comme suit :

Renforcer les filets de la sécurité sociale (y compris les sécurités non contributives dispensées par les CPAS) en pérennisant et en améliorant « les mesures  passerelles »prises pendant la crise, notamment en matière d’accès au chômage.

Porter les allocations sociales au niveau du seuil de pauvreté européen. La suppression du statut « cohabitant » qui sanctionne les solidarités de base des allocataires sociaux constitue un préalable incontournable.

Assurer à tous le droit à l’éducation sur la base de l’égalité des chances, en portant une attention particulière sur la fracture numérique.

Dans le cadre d’un développement durable, prendre des mesures socialement équitables, qui promeuvent la biodiversité, luttent contre la pauvreté et réduisent les inégalités, en concertation avec les populations les plus défavorisées, notamment par la dynamique du « armoedetoets ».

En concertation avec les Régions, prendre toutes les mesures garantissant à tous l’accès à un logement décent.

Encourager des expériences innovantes permettant la remise au travail des personnes les plus éloignées des systèmes d’emploi.

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