Nous avons appris avec une grande tristesse le décès de Michel Brogniez. Michel était un homme de cœur et d’intelligence, militant ATD Quart Monde depuis de longues années.
Avec Bernadette, il s’est battu avec acharnement pour qu’Anne-Louise, leur fille, ne soit pas placée et connaisse une vie moins dure que la sienne. Il a pris le risque d’accueillir chez lui une personne sans-abri à bout de forces, morte chez lui dans la nuit, ce qui avait provoqué l’intervention de la police.
Il avait participé à la recherche internationale « La misère est violence », jusqu’à sa présentation à l’UNESCO et l’enregistrement d’une vidéo. Il avait beaucoup impressionné les autres participants.
Michel avait une philosophie de la générosité et du soutien. Voici quelques mots essentiels qu’il nous avait transmis :
Le partage :
« Le partage, cela représente l’humanité. Seul on n’arrive pas. On ne peut pas laisser à l’abandon les personnes, nos frères et sœurs de par le monde. … Si on ne partage pas, il y a la violence.
Si on ne fait pas attention à nos frères et sœurs, il peut y avoir de la violence, parce qu’ils ne sont pas compris. Si on ne se comprend pas, il y a la violence. C’est pour cela qu’il faut le partage.
Écouter l’autre :
“Écouter l’autre. Ne pas aller voir dans sa vie privée, mais l’écouter. Lui faire comprendre qu’il y a aussi lui qui peut partager et qu’il peut faire quelque chose. Ne pas le laisser plus bas. Le mettre au même niveau que nous. Là vous aurez alors la sécurité et vous n’aurez pas la violence.”
Les gens “irrécupérables” :
“Je ne crois pas que c’est trop tard. Il n’y a pas d’êtres humains irrécupérables. … Aucune personne n’est irrécupérable. Le tout est de dialoguer avec lui. Pas de savoir toute sa vie… Si tu donnes ne fût-ce qu’un petit peu d’amour, il le verra tout de suite. Il va comprendre que tu n’es pas là pour le juger, pour le maltraiter. À ce moment-là il va ouvrir son cœur : il n’est pas irrécupérable.”
Aller vers les autres :
“Au fait, vous avez le choix. Soit-on reste dans la misère. Ou soit on prend parti avec d’autres personnes. La volonté d’aller vers les autres. Sans ça on n’y arrivera pas. Justement, en donnant votre volonté d’aller vers les autres, les autres personnes, ils vont réfléchir, ils vont dire ‘tiens il vient vers moi pourquoi ?
Donc c’est que je ne suis pas rien. C’est que je suis quand même quelqu’un. Je peux participer à une rencontre’. Cela dit, ce n’est pas pour cela qu’on est riche, hein. Mais on est riche dans le sens qu’on a fait des connaissances : on a appris à apprécier l’autre. L’autre personne. Et la personne nous apprécie aussi.”
Se rassembler :
“Moi j’ai comme principe : je vais aller chercher pas celui qui est devant moi, ou quelque chose comme ça, mais celui qu’on ignore et qu’on met de côté. Et s’il y en a un, ou même dix, eh bien on ira chercher les dix et on va les rassembler, parce qu’ils ont leur mot à dire et ils sont aussi intelligents qu’un autre. Ils savent peut-être pas calculer, pas écrire et tout, mais ils savent s’exprimer, ils savent dire ‘ça ça va, ça ça ne va pas, on peut changer ça’ et voilà, et il faut aller là où la personne est rejetée. Et c’est cette personne rejetée, que tu vas remettre dans la société.
À ce moment-là, ils vont comprendre ‘Ah oui, on ne devait pas faire ça’. Et lui, il se dira alors : ‘Oui, je suis comme vous, je suis un homme comme vous, et je ne suis pas mis à part.’ Et quand il n’est pas mis à part, il fait partie d’une société. C’est ça qui est le principal.”
L’amour :
“Quand j’avais 13 ans à peu près, il y avait un petit garçon dans l’institution où j’étais placé. Il était petit puisqu’il était dans un landau. Je ne comprends pas pourquoi le Juge l’avait mis là : il aurait dû choisir un établissement spécialisé. Il avait une maladie, on devait l’attacher parce qu’il se mangeait. J’ai eu la chance de pouvoir connaître, dans mes tristesses, l’amour d’un petit être dont mes souvenirs sont toujours bien présents.
Et seulement alors, j’ai pu bien comprendre la signification de l’amour, moi qui n’avais jamais connu cet amour. Il y avait une souffrance de moi-même qui s’est retournée due à sa souffrance à lui et ça, c’était le plus important. Je souffrais encore là, mais je devais comprendre que lui souffrait plus que moi.
Lorsqu’on m’a proposé de m’occuper de cet enfant, c’était dur pour moi de donner de l’amour à quelqu’un, à une personne. À l’âge de 13 ans, me promener avec un petit landau avec un bébé devant tout le monde eh bien, ce n’était pas facile, j’avais honte. Mais après je n’avais plus honte. Il fallait que je comprenne qu’il existe, qu’il n’y a pas que moi qui existe. Parce qu’il y a des gens qui sont plus malheureux que moi. Avant j’étais révolté, forcément, j’étais un révolté puisque je n’avais pas de famille, je n’avais pas de parents. Et il y avait quand même beaucoup de maltraitance.
Bien avec lui, j’ai appris la tendresse. Oui, puisque je devais le protéger, au moins je servais à quelque chose. Tu sais, je lui et défait ses cordes et il ne se mordait plus. Je ne sais pas ce qui se passait dans sa tête, mais je crois qu’il avait une certaine tendresse pour moi, une affection. Il m’a fallu attendre 13 ans pour connaître l’amour.”
Michel, ta vie a été un long combat. Repose en paix à présent. Tu continueras à nous inspirer.