Être citoyen à part entière

LE SERVICE DE LUTTE CONTRE LA PAUVRETÉ

Créé en 1994 avec l’accord de tous les gouvernements (régionaux, communautaires et fédéral), le Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale rassemble des associations et d’autres acteurs privés ou publics ayant une expertise en matière de lutte contre l’exclusion sociale. Il a pour mission d’évaluer les mesures prises au niveau de chaque gouvernement, ainsi que d’émettre des avis, des recommandations et des propositions concrètes. Tous les deux ans, un rapport est publié pour rendre compte du travail réalisé.

LES MILITANTS QUART MONDE

Manu Vandericken est militant Quart Monde de Charleroi. Étant enfant, il participait aux activités du Pivot à la Maison des Savoirs et a été délégué à une rencontre à Strasbourg. Depuis, il a entre autres été très actif dans les ateliers du Croisement des Savoirs et il a eu plusieurs occasions de travailler avec l’équipe du Service de Lutte contre la Pauvreté.
Marcellin Boulard, 66 ans, a grandi à la Rue Haute et il est devenu un ‘Marollien gitan’ où l’entraide familiale a une place importante. Il se dit un ancien de la rue et il continue a soutenir les gens qui en ont besoin : en donnant à manger, en montrant des abris,… Il est connu à Bruxelles et les gens disent de lui qu’il est ‘increvable’.

Manu et Marcelin ont participé assidûment ces deux dernières années aux concertations avec le Service de lutte contre la pauvreté.

Qu’est ce que vous amenez dans le travail en tant que militants ?

Marcellin : Quand je me suis mis dans le groupe d’ATD Quart Monde, c’est parce qu’il fallait aider les gens. J’essaye de faire mon possible.

Manu : Chacun amène des regards différents. C’est important parce que la pauvreté n’est pas forcément égale dans toutes les villes. Les professionnels ne connaissent pas la pauvreté. Sans nous, ils pourraient pas faire un rapport forcément juste parce qu’ils ne sauraient pas ce que les gens vivent tous les jours comme injustices par rapport à certains services.

Comment avez-vous travaillé pour faire ce rapport?

Manu : Le Service essaye d’envoyer les documents de travail le plus vite possible pour qu’on ait le temps de préparer, c’est tellement important pour nous. Il faut qu’on fasse d’abord un moment de compréhension parce que c’est pas évident et puis il faut voir l’ordre du jour.
Avec les cellules et les Universités Populaires, on peut avoir des bagages pour aller faire ce genre de travail. Le but, c’est que ça change pour tout le monde. On est pas là pour arranger nos problèmes, on est là pour faire un rapport. Mais parfois, ça me touche tellement que c’est compliqué.

Marcellin : Ça ne sert à rien qu’on parle si l’on ne nous écoute pas. Maintenant, si on nous écoute, ça va… Ça peut faire changer les choses pour tout le monde.
Parfois j’ai du mal à me débloquer. Par exemple, pendant les réunions au Service, je vois que tout le temps ça parle et je ne sais pas quoi dire. Cela me stresse. Monique (volontaire permanente) m’aide pour lire les documents, mais elle ne me dit pas ce que je dois dire. Et, à des moments, j’arrive à relâcher des pensées à moi. Souvent, je pense que ce sont des conneries ce que je dis mais elle me dit que c’est intéressant, et que personne d’autre ne l’avait déjà dit.

Manu : Monique nous connaît depuis longtemps. Parfois, elle me dit quand j’ai une idée et qu’on ne me donne pas la parole « écrit un mot sur un papier pour être sur de pas l’oublier, même un mot ». Parce que si on attend longtemps, l’idée elle n’est plus là.

Qu’est ce que vous attendez de ce rapport ?

Manu : On ne nous prend plus pour des imbéciles, on nous prend enfin au sérieux. On nous prend comme partenaire pour changer les choses, ils ne font plus ça tout seul.

Marcellin : C’est un travail très important. Moi, ce que je veux défendre, c’est beaucoup les sans-abri, les enfants et les parents. Je veux qu’on les sauve.

Ce travail est compliqué, il vous demande des efforts, mais est ce qu’il vous apporte quelque chose ?

Manu : Ça permet de comprendre des choses. Par exemple, avec les professionnels, on a aussi des préjugés. Mais quand on a appris qu’ils ont 200 dossiers pour une seule personne, on a compris pourquoi ils n’y arrivent pas quoi. Ce rapport est l’occasion pour eux de passer le message «  voilà, il nous faut plus de moyens pour qu’on puisse faire mieux notre boulot. » Après, quand le rapport sera fini, ils vont pas le garder pour eux, on aura chacun un exemplaire en mains et on pourra le montrer. Nos noms seront dedans avec les associations, on est partenaire. C’est un truc qui m’émeut, je suis super fier de montrer ça à ma fille.

L’ÉQUIPE DU SERVICE DE LUTTE CONTRE LA PAUVRETÉ

Françoise De Boe, Veerle Stroobants, Mélanie Joseph et Thibault Morel font partie de l’équipe du Service de lutte contre la pauvreté. Certains y travaillent depuis plus de 20 ans, d’autres depuis peu. L’équipe vient de terminer en décembre la rédaction du nouveau rapport.

C’est le neuvième rapport bisannuel qui vient de sortir. Qu’est-ce qui vous a le plus frappé en travaillant sur ce rapport-ci « Pauvreté et Citoyenneté ? »

Veerle : Les militants ont partagé le sentiment d’être considérés comme des incapables, et ceci dans tous les sujets discutés. Plusieurs professionnels ont d’ailleurs confirmé cette réalité. Les gens sont toujours arrêtés au niveau de ‘l’aide’, ils doivent se faire contrôler et se contenter de recevoir de petites choses (par ex. colis alimentaires, accompagnement au logement) et sans accéder aux vrais droits fondamentaux.

Françoise : Pour ce rapport, on a vraiment voulu que les plus pauvres puissent participer et cela a pu se faire grâce aux associations qui se sont mobilisées et ont préparé très sérieusement les rencontres. Cette façon de travailler, partir des expériences des personnes les plus pauvres,  nous amène souvent à des constats négatifs qu’on dénonce dans le rapport. C’est nécessaire mais pour que les responsables politiques puissent recevoir ce rapport et y donner suite, on doit aussi parler de ce qui a avancé. Sinon, c’est désespérant pour tout le monde, aussi pour nous, l’équipe.

La participation active des personnes avec une expérience de la grande pauvreté, ensemble avec des professionnels, comment vous le vivez ?

Veerle et Françoise : Cette fois-ci, nous avons choisi de travailler plus tous ensemble une journée par mois, une thématique sur une durée plus longue. Il y a un groupe qui se forme, un respect, une confiance et je pense que les personnes du milieu de la pauvreté se sentaient mieux à leur place. Nous avons aussi essayé d’améliorer nos techniques d’animation et lors de la rédaction nous avons pris au maximum les phrases des gens, en gardant leurs mots et leurs formulations, en tant qu’ analyses plutôt que de témoignages.

Thibault et Veerle : De l’autre côté, avec cette approche, on a eu plus de mal à mobiliser les professionnels (spécialisés) dans la durée. Par conséquent, nous avions plutôt des ‘personnes ressources’ par domaine. Certains de ces professionnels ont été bousculés et ont eu plus de difficulté à entrer dans la démarche. C’est inconfortable, mais à la fin, on arrive quand même à faire un rapport de qualité et c’est gai d’y avoir contribué.

Quelle est votre principale motivation pour continuer ce travail avec le Service ?

Françoise : Ces injustices, ce gâchis humain. Une fois qu’on en a pris conscience, on ne peut pas rester sans rien faire. Travailler avec le Service est une prolongation de mon engagement dans l’associatif durant une vingtaine d’années.

Mélanie : Ce sont les concertations qui me « boostent » ; si c’était seulement un travail de bureau sans le contact avec la réalité du terrain, je ne comprendrais pas en fait. Et à chaque fois, à la fin d’une journée de concertation, j’en parle même chez moi ! Cela prend vraiment du sens pour moi car on travaille du plus concret au plus abstrait, tant au niveau des Droits de l’Homme qu’au niveau politique. Je comprends les associations qui posent la question de l’impact et de la diffusion du rapport : il faut ne pas avoir juste fait ça pour nous.

A coté des procédures officiels, quelles sont maintenant les suites ?

Thibault : Le cabinet du premier ministre a demandé notre avis pour le projet de circulaire par rapport à l’adresse de référence. Pour cet avis nous avons pu utiliser beaucoup d’éléments des concertations.

Françoise : Un atout, cette fois, c’est que nous avons travaillé en étroite collaboration avec des associations dans lesquelles des personnes très pauvres se rassemblent. Elles se mobiliseront donc sans doute avec le Service pour faire connaître le rapport, le faire vivre, au-delà de la procédure officielle de suivi. Toutes les idées sont les bienvenues !

Interview réalisée par Amandine Teugels et Vanessa Joos Malfait

Cet article est paru dans une première version plus courte au sein du 103ème numéro de notre revue Partenaire.

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