Pour encourager nos décideurs politiques à oser ce projet ambitieux, nous avons signé, aux côtés de nombreuses organisations et académiques, la carte blanche ci-dessous, parue dans le journal l’Echo le 21 décembre 2021.
Le projet « Territoires zéro chômeur » n’est pas suffisamment soutenu
Alors que la Flandre marche vers le travail obligatoire des chômeurs de longue durée, où en sont les « Territoires zéro chômeur de longue durée » inscrits dans les déclarations de politique générale des gouvernements wallon et bruxellois? À Bruxelles, les études préalables se multiplient, sans calendrier politique de mise en œuvre. En Wallonie, le plan de sortie de la pauvreté les évoque, mais les dénature.
Les contrats précaires et mal payés, les activités nocives pour l’environnement et les bullshit jobs se multiplient dangereusement. Résultat? La pression pour accepter l’inacceptable pèse sur les épaules de ceux qui n’ont pas d’emploi. Et beaucoup de ceux qui en ont un, craignant de se retrouver au chômage, acceptent des conditions de travail et d’emploi revues à la baisse. Parallèlement, une énorme quantité de travail doit aujourd’hui être mobilisée pour réparer les catastrophes du confinement et des inondations de cet été, et plus généralement pour préparer l’avenir.
Les accords de majorité wallon et bruxellois entendent répondre à ces défis à travers un projet expérimental et local : les territoires zéro chômeur de longue durée (TZCLD). En bref, il s’agit de proposer un CDI à toutes les personnes privées durablement d’emploi, sur base de leurs compétences et des besoins du territoire identifiés avec l’ensemble de ses forces vives. L’expérimentation est en cours depuis 2017 en France sur dix territoires et les résultats sont encourageants. Cinquante nouveaux territoires sont d’ailleurs en voie d’être reconnus.
Le récent plan wallon de sortie de la pauvreté annonce l’intention wallonne de mettre en œuvre des TZCLD et évoque leur inscription dans l’ambition plus large d’une garantie d’emploi. Dans ce document, il est question d’explorer les besoins d’un territoire et les souhaits des chômeurs pour développer de nouvelles activités.
Principes abandonnés
Mais plusieurs principes fondamentaux semblent abandonnés à cette heure: le recours systématique au CDI, l’ambition de garantir un emploi à tous ceux qui le veulent, la création d’une instance locale de pilotage du projet et d’une entreprise gouvernée démocratiquement sur chaque territoire.
De plus, les chercheurs et les associations savent que la sortie de la précarité requiert un emploi consolidant: outre les éléments mentionnés ci-dessus, il faut également garantir un travail qui a du sens, un temps de travail adapté, un salaire qui permette de vivre dignement, des temps de déplacement réduits, un accompagnement social professionnel… Pourquoi ces éléments décisifs sont-ils délaissés?
Ces renoncements sont d’autant plus incompréhensibles que les éléments abandonnés sont aussi vecteurs d’impacts à plus large échelle. En effet, la garantie d’emploi offre une possibilité de sortie vers le haut aux travailleuses et travailleurs qui se voient imposer des conditions inacceptables par les employeurs privés ou publics.
En outre, la garantie emploi et le projet TZCLD assurent de réaliser des travaux utiles à la collectivité, identifiés suite à une délibération démocratique: ils développent des biens et services écologiquement responsables qui n’existent pas aujourd’hui ou sont impayables pour les habitants des zones concernées.
Par ailleurs, ces projets s’adressent à toutes celles et à tous ceux qui sont durablement privés d’emploi en allant les chercher là où ils sont, en pratiquant un véritable porte à porte afin de constituer des collectifs de travail inclusifs. Ils luttent ainsi contre l’isolement social qui est source de souffrances et qui déforce nos démocraties.
Faire avancer le dossier
Les gouvernements wallon et bruxellois disposent des évaluations scientifiques de l’expérimentation française. Celles-ci démontrent de réels impacts qui dépassent les objectifs strictement économiques. Si les ministres de l’Emploi ne considèrent pas les TZCLD comme une urgence, d’autres ministres régionaux devraient donc faire avancer ce dossier qui, au-delà de l’objectif «zéro chômeur de longue durée», concerne leurs compétences : culture et éducation permanente, développement territorial, climat et énergie, égalité des chances, transition économique, transition climatique et démocratie participative… sans même parler des compétences fédérales.
Dans les deux Régions, des CPAS, des acteurs de l’insertion socioprofessionnelle et de l’économie circulaire, des services sociaux, des échevinats de l’emploi, des responsables syndicaux, des associations d’éducation permanente et des chercheurs se mobilisent depuis plus de deux ans. Ils sondent les besoins des territoires avec les habitants et identifient les compétences de personnes privées d’emploi qui y vivent.
Ils avancent seuls, sans soutien politique régional, sans assurance de financement. Les gouvernements bruxellois et wallon doivent soutenir ces démarches qui permettront de concrétiser les TZCLD, inscrits dans leurs accords de majorité…
Rien ne justifie l’hésitation actuelle à expérimenter réellement à l’échelle de quelques micro-territoires. Tout justifie de leur allouer des moyens à la hauteur de leurs ambitions et des urgences auxquelles ils entendent répondre.
Bruno ANTOINE (CSC Wallonne)
Guéric BOSMANS (Centrale Générale-FGTB)
Jean-Marc CAUDRON (Fédération Ressources)
Julien CHARLES (Centre Socialiste d’Education Permanente/UCLouvain)
André DENAYER (ATD Quart Monde Belgique)
Elise DERMINE (ULB)
Samuel DESGUIN (USL-B)
Olivier DE SCHUTTER (UCLouvain)
Frédéric DUFAYS (HEC Liège – Uliège)
Ariane ESTENNE (MOC)
Isabelle FERRERAS (FNRS/UCLouvain/Académie Royale de Belgique)
Geoffrey GOBLET (Centrale Générale-FGTB)
Auriane LAMINE (UCLouvain)
Christine MAHY (RWLP)
Céline NIEUWENHUYS (Fédération des Services Sociaux)
Bénédicte SOHET (Concert-ES)
Pavlina TCHERNEVA (Levi Institute/Bard College)
Paul TIMMERMANS (IBEFE Hainaut Sud/Mission Régionale pour l’Insertion et l’Emploi à Charleroi)
Felipe VAN KEIRSBILCK (CNE-CSC)