Bart Van Loo – Chronique sur la Journée mondiale pour l’éradication de la pauvreté

Le 16 octobre à l’occasion de la chronique “Le monde comme il va”  diffusée sur Matin Première, Bart Van Loo,  l’écrivain belge reconnu, a présenté la Journée mondiale pour l’éradication de la pauvreté et ATD Quart Monde. Avec son accord, nous publions on texte ici ainsi qu’un lien vers la version radio.

“Ma chronique d’aujourd’hui sera un peu plus sérieuse que d’habitude. Ce n’est pas grave, personne n’est mort d’un peu de sérieux. De poésie non plus.

Il est terrible
le petit bruit de l’œuf dur cassé sur un comptoir d’étain
il est terrible ce bruit
quand il remue dans la mémoire de l’homme qui a faim
elle est terrible aussi la tête de l’homme
la tête de l’homme qui a faim
quand il se regarde à six heures du matin
dans la glace du grand magasin

C’est le début de « La grasse matinée », ce poème inoubliable du tout aussi inoubliable Jacques Prévert. Et je vous lis ce poème parce que demain c’est la Journée mondiale du refus de la misère.

Comme la problématique est immense ce matin je me concentre sur un élément spécifique, le logement… récemment, un groupe de citoyens à Gand a organisé un référendum pour protester contre les prix exorbitants des maisons, contre les loyers de folies… et pour dénoncer le cruel manque de logements sociaux. Gand est en train de devenir une ville de (très) riches. De plus en plus inaccessible pour beaucoup de ménages à doubles revenus. Si le logement devient compliqué pour la classe moyenne, comment cela, croyez-vous, en ira-t-il pour les démunis ?

Tous les spécialistes le disent, on a besoin de créer beaucoup de logements sociaux. Mais on voit qu’on en construit moins qu’avant. Qu’en Flandre par exemple, on préfère donner 5000 EUR aux gens qui achètent une voiture électrique. Et le démuni, lui ? Il n’a que Prévert pour formuler ces pensées, car…

il ne peut rien contre ce monde
et il compte sur ses doigts un deux trois
un deux trois
cela fait trois jours qu’il n’a pas mangé
et il a beau se répéter depuis trois jours
Ça ne peut pas durer
ça dure
trois jours
trois nuits
sans manger

Sans doute, le monde politique devrait prioriser les logements sociaux, mais les propriétaires pourraient peut-être aussi faire un effort eux-mêmes. Pourquoi ne pas louer votre propriété par une agence immobilière sociale ?
J’ai découvert le système par hasard, je trouve ça beau et pratique, le bureau s’occupe de la location de votre appartement pendant 9 ans, et ils le louent à un locataire en quête d’un logement à loyer modéré.
D’accord, vous gagnez un peu moins, mais vous n’avez pas les soucis pratiques, et vous contribuez à l’augmentation de logements à prix modiques.
Sachez que dans notre pays on a besoin de dizaines de milliers de logements sociaux. Bref, ce n’est pas que le gouvernement qui peut agir.
On ne peut que répéter les mots de Victor Hugo :
Je ne suis pas, messieurs, de ceux qui croient qu’on peut supprimer la souffrance en ce monde ; la souffrance est une loi divine ; mais je suis de ceux qui pensent et qui affirment qu’on peut détruire la misère.
C’est tout à fait ce que pensait aussi Joseph Wresinski, le fondateur d’ATD Quart monde, l’association qui s’engage beaucoup dans l’organisation de la journée mondiale du refus de la misère. C’est grâce au père Wresinski qu’on a gravé le 17 octobre 1987 (demain, cela fera jour pour jour 36 ans) dans le marbre à Paris sur la place du Trocadéro, ces mots qui rappellent le propos de Victor Hugo :
Là où des hommes sont condamnés à vivre dans la misère ;
Les droits de l’homme sont violés.
S’unir pour les faire respecter est un devoir sacré.

Entre-temps, cette dalle a été reproduite dans de nombreux endroits du monde dont 7 en Belgique (à Gand, c’est bien à propos, mais aussi à Willebroek, à Vilvorde, à Louvain, à Bruxelles, à La Louvière, à Namur et à Quaregnon.

ATD Quart monde part du principe qu’il faut écouter les démunis, travailler avec eux, en non pas leur proposer des solutions d’en haut.
ATD ne veut pas dire pour rien Agir Tous pour la Dignité.
Je salue le travail de tous les bénévoles, pour qui c’est n’est pas seulement
le 17 octobre, mais pour qui tous les jours sont des journées du refus de la misère.

Je salue aussi l’exposition qui vient d’ouvrir le week-end dernier dans l’hôtel de ville de Lille, une expo qui m’a touché, qui m’a interpellé, avec des textes écrits par les militants d’ATD Quart Monde, c’est-à-dire par les gens mêmes qui vivent dans la précarité.
Et ça, cher François Heureux, ça c’est très bien, c’est même primordial,
il ne faut pas se limiter à lire Jacques Prévert ou Victor Hugo.
C’est pourquoi, à la veille de la Journée mondiale du Refus de la Misère,
je vais lire un de ces textes, écrit à plusieurs mains,
un texte qui résume ce qu’est ATD Quart Monde pour eux.
• Celles et ceux qui vivaient dans des baraquements
• Celles et ceux qui rapiéçaient les chaussures
• Celles et ceux à qui on arrache leurs enfants
• Celles et ceux qui vivent dans une maison « pourrie » dans l’indifférence quasi générale
• Celles et ceux qui n’acceptent pas la condition qui leur est faite et se lèvent jour après jour pour réclamer leurs droits et leur égale dignité
• Celles et ceux qui se mettent ensemble pour résister à l’inacceptable
• Celles et ceux qui écoutent les autres et s’entraident
• Celles et ceux qui vivent dans des conditions difficiles et viennent participer, témoigner, apporter des idées !
• Celles et ceux qui ont le secret de l’espérance

Bart Van Loo

Lien vers la version radio ici.

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