En Belgique comme dans d’autres pays européens, plusieurs villes, dirigées tant par des partis de gauche que de droite, ont tendance à criminaliser les mendiants considérés comme des nuisances pour leurs habitants. La plupart optent pour un mobilier urbain qui ne permet pas aux personnes les plus fatiguées de s’étendre. Rares sont les villes qui osent réquisitionner les immeubles inoccupés, et parallèlement, elles se montrent réticentes à accueillir une population fragilisée qui ternirait leur image.
Certaines communes, tant urbaines que rurales, rechignent à accepter des domiciliations dans des habitats réputés insalubres ou inexistants sur le plan urbanistique (habitats alternatifs, caravanes…). Certains CPAS refusent des inscriptions en adresse de référence. Les uns et les autres imposent parfois des conditions non prévues par la loi pour décourager ces demandes.
Plus subrepticement, en s’abstenant de prendre des mesures adéquates, des collectivités locales mènent implicitement des politiques visant à éloigner de leur territoire les pauvres, considérés comme importuns. Ce type de discrimination porte, depuis peu, un nom : la pauvrophobie[note]Pauvrophobie, n. f., néologisme : Attitude d’hostilité, plus ou moins visible, à l’égard des personnes qui vivent la pauvreté ou la précarité.[/note]. Le Forum – Bruxelles contre les inégalités[note]Le Forum – Bruxelles contre les inégalités, (2018). Pauvrophobie : petite encyclopédie des idées reçues sur la pauvreté,Bruxelles, Luc Pire Éditions.[/note] en a récemment fait un livre.
En Wallonie, seule une petite minorité de communes (15 %) atteint le quota de logements sociaux fixé par le parlement régional, et certaines, souvent parmi les plus huppées, regrettent ouvertement cette mesure qu’elles estiment être inadaptée à leur réalité et aller à l’encontre de leur autonomie. Pourtant, de l’avis de spécialistes, une politique volontariste permettrait à notre pays de loger décemment tous ses habitants.
Le montant du revenu d’intégration sociale (RIS) est notoirement inférieur au seuil de pauvreté et pousse ses bénéficiaires à la débrouille pour survivre. Ils sont alors accusés d’être des fraudeurs et on organise au niveau communal, notamment par le biais des CPAS, la traque aux adresses fictives. Pourtant la fraude fiscale reste dix fois plus importante que la fraude sociale et concerne des sommes bien plus conséquentes…
Certains pensent qu’une commune a une meilleure image si les pauvres y sont inexistants. Et que si, par malheur, il y en a, il est logique qu’ils restent invisibles et qu’on les surveille de près pour qu’ils ne bénéficient pas impunément de la générosité collective.
Si nous étions élus, nous tordrions le cou à ces préjugés pauvrophobes qui accusent les personnes les plus fragiles d’être les profiteurs d’un système que l’on aime qualifier de généreux, qui les présente comme des tricheurs potentiels à placer sous contrôle permanent, quitte à s’immiscer dans leur vie privée.
Si nous étions élus, à chaque décision à prendre, nous nous poserions la question de son impact sur la vie des plus pauvres. Et si cet impact favorise leur dignité et leur citoyenneté, nous n’aurions de cesse de la mettre en œuvre, parce qu’elle serait alors favorable à tous. En effet, une communauté qui abandonne ses membres les plus fragiles se fissure d’elle-même, se désagrège et se condamne.
Si nous étions élus, nous mobiliserions notre commune et les autres niveaux de pouvoir, pour que chaque personne, chaque famille dispose d’un logement décent, et nous essayerions à tout prix d’assurer aux personnes réputées « inemployables » la possibilité de gagner leur vie par un vrai travail, choisi, et non une forme de « service communautaire ».
Même si nous ne sommes pas élus, à ceux qui prétendent que la misère a toujours existé, nous disons qu’elle est notre affaire à tous, qu’elle n’est pas fatale et peut être éradiquée comme l’ont été l’esclavage et l’apartheid, et que la commune est le premier cercle de la solidarité, surtout dans notre pays où elle bénéficie d’une grande autonomie. Nous disons que l’image d’une commune se dégrade inexorablement si elle laisse une seule personne de côté.
Ce 17 octobre, nous marcherons. A travers Bruxelles. Pour rendre visible l’invisible. Pour rendre visible la pauvrophobie. Les élections communales seront passées de quelques heures seulement et nous en profiterons pour appeler les partis qui négocient les prochaines majorités à nous rejoindre. Vous aussi, citoyens de tous bords, venez marcher avec nous ![note]Rendez-vous sur le site web de la mobilisation pour plus d’informations : www.1710.be.[/note]
Carte blanche publiée sur le site web du Vif le vendredi 12 octobre 2018.
Front des organisations mobilisées à Bruxelles dans le cadre du 17 octobre pour Rendre Visible l’Invisible :
ATD Quart Monde, Brussels Platform Armoede, la Fédération des Services Sociaux et Le Forum-Bruxelles contre les inégalités avec la participation et le soutien de Ara, Biloba, Brabantia, Bruxelles Accueil Porte Ouverte, Bruxelles Laïque, Buurthuis/Maison de quartier Bonnevie, Buurtwinkel, CBCS, Centre de Service Social de Bruxelles Sud-Est, Centre Social Protestant, Chez Nous/Bij ons, De Schakel, Douche Flux, Droit à un toit, Dune, Entr’Aide des Marolles, Equipes populaires, Espace social Télé-Service, Fédération bruxelloise des institutions pour Toxicomanes (Fedito Bxl), Front Commun SDF, Genepi, groupe ALARM, groupe AMBAPA (Ambassadeurs du passif, groupe SASUD, Habitants des images, La Rue, la Vénerie, Le Clos, Le groupe Parler les poches vides, Le Maitre mot, Le Pivot, Le théâtre des Martyrs, Le théâtre Varia, L’ilot, Pigment, Porte Verte-Snijboontje, Service Social Juif, Service social des solidarités (SESO), SETM, SSQ1030, Transit, Vrienden van het Huizeke et de nombreux autres.