Le 30 septembre, le nouvel accord de gouvernement était rendu public. Devant son manque d’engagement dans la lutte contre la Misère, nous avons écrit une première lettre ouverte, disponible ici, adressée au Premier ministre. Ci-dessous, une deuxième réaction visant le chapitre renouveau démocratique.
Monsieur le Premier ministre,
Dans la perspective du renouveau démocratique que vous appelez de vos vœux dans l’Accord de Gouvernement diffusé le 30 septembre, je reviens une fois encore à vous. Votre accord, c’est du costaud, presque 100 pages, ce qui explique que je vous réponds en plusieurs fois, par des lettres séparées pour aborder chaque fois un thème différent.
Comme d’habitude, pour le lire, j’ai mis des lunettes particulières : celles des personnes qui risquent d’être laissées pour compte.
Tous les aspects de la vie en société impactent celle des plus vulnérables. Dans cette optique, je voudrais commenter un chapitre à mes yeux essentiel : vous vous engagez à relever le défi du renouveau démocratique. S’il est une ambition de l’Accord sur laquelle nous sommes d’accord, c’est bien celle de la participation citoyenne d’un chacun, sans exception.
Et pauvreté rime classiquement avec non citoyenneté. Un exemple parmi d’autre : l’avis de personnes en dessous du seuil d’imposition est-il pris en compte, ou même simplement sollicité, dans les débats sur des questions d’une fiscalité juste adaptée à la transition écologique ? La matière serait trop complexe, et de toutes manières, les pauvres ne contribuent pas, ils sont en dessous du seuil imposable, affirment certains.
Que non ! Leur avis donne un éclairage original important sur les orientations à prendre pour les années qui viennent. Au demeurant, contrairement à ce qu’on pourrait penser, en tant que consommateur, ils payent des impôts, et même proportionnellement plus élevés que les gros revenus. Ne risquent-ils pas d’être les premiers sanctionnés par une « taxe carbone » appliquée sans discernement alors que, habitant dans des endroits moins bien desservis par les transports publics, ils n’ont souvent d’autres choix que de se procurer des vieilles voitures de seconde main, certes plus polluantes ? Les voitures écologiquement plus propres restent hors de leur portée, et ils ne bénéficieront jamais des subsides liés à leur achat ou leur utilisation. De surcroît, les grandes villes ont tendance à interdire leur accès aux vieilles voitures…
Subsiste un certain flou quant à la façon dont vous comptez donner corps à ce renouveau démocratique : suffit-il d’organiser des panels mixtes … réunissant des parlementaires et des citoyens tirés au sort pour faire entendre la voix des personnes en situation de pauvreté dans le débat démocratique ? Poser la question est déjà une façon d’y répondre. La démocratie par le tirage au sort ne répond que très partiellement à notre ambition commune.
Dans la plupart des lieux de concertation, siègent des organisations représentatives des différents acteurs de société. Ainsi, à quelque niveau que ce soit, les conseils économiques et sociaux qui se veulent la voix de la société civile, réunissent classiquement les interlocuteurs sociaux, tels les organisations représentatives des employeurs, des classes moyennes, du secteur non marchand et des travailleurs, des consommateurs et autres.
Votre accord ne néglige pas cet aspect. Il précise qu’un plan ambitieux de lutte contre la pauvreté sera élaboré en concertation avec les organisations de lutte contre la pauvreté. Cette concertation est indispensable et même prioritaire. Je voudrais m’assurer qu’elle l’est également pour vous.
À défaut d’engagement fort dans cette voie, je crains que le renouveau démocratique uniquement fondé sur un tirage au sort reste un gadget sans lendemain. Je vous invite à mettre la barre plus haut.
Comment encourager les personnes qui n’ont plus d’avis à force de n’avoir jamais été entendues, à participer à ces assemblées ? Comment s’assurer qu’au cours des débats la parole de l’illettré ait autant de poids que celle de l’universitaire bien rodé à la dialectique ?
Pour dire vrai, cet engagement fort doit émaner tant des autorités publiques que de la société civile : s’assurer que la parole des invisibles reste présente même au sein des associations de lutte contre la pauvreté relève d’un défi quotidien. Il exige d’aller sans cesse à la recherche de ceux qui risquent d’être laissés sur le quai.
Le renouveau démocratique est notre affaire à tous.
Georges de Kerchove
Membre de l’équipe nationale ATD Quart Monde en Belgique