David Matarasso, animateur d’un atelier théâtre avec des enfants rencontrés à la Bibliothèque de rue d’Ougrée, est décédé le 19 janvier 2021, à l’âge de 51 ans. Jacques Radoux, co-animateur de l’atelier théâtre, a tenu à lui rendre hommage avec ce texte. Ce groupe de jeunes acteurs s’appelaient les « gavroches » et avait pour slogan « C’est nous les gavroches des temps modernes ».
« On n’est pas beaux, on n’est pas riches, on nous prend pour des rigolos, mais on s’en fiche.
Nous, tout c’qu’on veut, c’est s’amuser, c’est rigoler et puis surtout :
on va mettre un souk d’enfer dans nos quartiers de misère,
s’en aller au-delà du ciel pour voir d’en haut toutes les merveilles du monde. »
Il fallait voir cette petite troupe de la Bibliothèque de rue d’Ougrée, âgée de 8 à 13 ans, chanter à tue-tête la chanson composée par leur metteur en scène, David Matarasso, à la fin de leur premier spectacle joué dans la Maison de quartier le 25 juin 2017.
Retour sur les débuts de l’atelier théâtre
Tout a commencé le 17 avril 2016 à Liège : invités par les Baladins du Miroir à leur dernière représentation, 70 habitants d’Ougrée assistent émerveillés, sous le chapiteau, à la pièce de Bertold Brecht, La bonne âme de Se-Tchouan.
Le Porteur d’eau – le rôle tenu par David, quel beau symbole ! – fut emballé par la réaction, en particulier, de « ces enfants formidables d’énergie et d’émotion » : tels furent les mots qu’il utilisa 2 mois plus tard au téléphone, alors que moi, gêné, je les avais vus perturbant le spectacle, incapables de rester assis sans parler ! Il voulait monter un atelier de théâtre avec eux, lui, un professionnel ! J’étais fou de joie.
Il n’avait jamais fait ça. Mais depuis quelque temps il sentait monter en lui le besoin de transmettre sa passion, son métier : le théâtre.
Pendant 3 ans, de 2017 à 2019, chaque samedi après-midi, avec une infinie patience, des ‘saintes’ colères parfois bien nécessaires, une créativité sans limites, une exigence pleine de générosité, il a quitté Jodoigne pour Ougrée bas. Voilà pourquoi les enfants ont relevé ce défi. Une pantomime et 3 extraits de Macbeth verront le jour.
Ils ne s’y sont pas trompés : ils se sont sentis aimés, rejoints là où ils étaient chacun, et emportés « jusqu’au-delà du ciel ». Les paroles de cette chanson (cf. ci-dessus) montrent à quel point David les a compris. Elle leur colle à la peau.
Le fil rouge de David
David voulait « faire sauter les barricades de l’imaginaire » (titre de son article dans le journal d’Ougrée). Moi-même, passionné de littérature et de poésie, je partageais avec lui cette parole de Kafka : « Le livre (le théâtre) doit être comme une hache pour briser la mer gelée en nous. »
C’était un écorché vif, me dira le chef de la troupe des Baladins. En le regardant travailler avec les enfants de la BDR qui sont entrés dans l’adolescence avec lui, j’ai mieux compris la force de cette parole de René Char :
« Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque. À te regarder, ‘Ils’ s’habitueront. »
David m’a boosté quand j’étais animateur de la BDR d’Ougrée. Il me booste encore dans les ateliers de poésie que j’anime dans l’école primaire près du parc où je lisais.
Je retiens de lui, outre sa persévérance et son inventivité pour remotiver sans cesse sa petite troupe, la devise de la charte créée avec eux la première année : « Le talent, c’est les autres ».
Ce qui fait écho au beau poème d’Eluard :
« Nous n’irons pas au but un par un, mais par deux
Nous connaissant par deux, nous nous connaîtrons tous
Nous nous aimerons tous et nos enfants riront de la légende noire où pleure un solitaire. »
Paroles des jeunes acteur·trice·s
Les jeunes acteurs et actrices participant à l’atelier théâtre avec David ont été interviewés par le père de l’un d’eux à l’issue de la représentation d’extraits de Macbeth de Shakespeare, le 23 juin 2019 :
Bill : Tu es une personne merveilleuse. Tu nous écoutes, tu nous as aidés à progresser, à aller de l’avant. Tu es déjà allé assez loin. Je suis fier de ce que tu as fait.
Kilian : Merci. J’ai aimé, mais à la fin ça ne me bottait plus trop. C’était amusant. Ce n’est pas un truc qu’on pourra refaire tous les jours.
Sorenza : Merci à Jacques et à David de tout ce qu’ils nous ont appris, de nous avoir supportés, aidés à surpasser nos limites.
Allan : David, hyper sympathique. Il est resté avec nous 3 ans. Parfois avec la famille, on ne comprenait pas, et ça partait en sucette. David, merci franchement que tu sois resté. Je ne sais pas quoi dire, merci, merci beaucoup. Il nous a proposé des choses, on les a acceptées, et aujourd’hui c’est terminé. Après, je vais essayer de grandir un peu pour aller à un stage de théâtre qui démarre à 14 ans. Je vais continuer. Je donnerai le maximum. Et quand j’en ferai, je penserai à David.
Le père avait mis comme chanson dans le montage qu’il a réalisé ce soir-là : « On peut vivre sans richesse (…), mais vivre sans tendresse, on ne le pourrait pas. »