Un an de travail sur la fracture digitale en Flandre

« L’informatique n’est pas un jeu. Plus un enfant est pauvre, plus nous lui devons de lui apprendre à l’utiliser avec respect. Car dans la société qu’il contribuera à créer, l’ordinateur sera l’outil de son affirmation de soi et de son ouverture à la connaissance des hommes et de l’univers. L’ordinateur le rendra maître de ses passions, fera de lui un homme libre et fixera en son cœur l’amour de la justice dont il deviendra l’artisan ».

C’est avec ces mots que le père Joseph Wresinski soulignait dès 1986 que la numérisation croissante pouvait être à la fois une opportunité et un défi pour les plus pauvres. Contrairement à notre première intuition, l’âge n’est qu’un des trois facteurs dans cette difficulté. Les deux autres sont le niveau d’étude et le niveau de revenu, comme le pointait le baromètre numérique de la Fondation Roi Baudouin en 2020. Ainsi, la Belgique est le pays d’Europe le plus inégalitaire dans l’accès aux technologies entre les plus riches et les plus pauvres (facteur par ailleurs omis dans le Baromètre de Digital Wallonia de 2021). Si les personnes qui vivent la pauvreté ne sont pas impliquées dans cette transition, la numérisation de la société conduit à l’exclusion. Cette fracture numérique comporte trois dimensions, dimensions qui portent chacune différentes formes d’inégalité.

 

Zones blanches

Une première dimension est l’inégalité d’accès aux outils numériques. Les personnes vivant dans la pauvreté ne disposent souvent que d’un smartphone ou d’une tablette. Une militante nous racontait que sans ordinateur, elle peinait à écrire une lettre au tribunal. C’est également un sacré défi que de rédiger une lettre de demande d’emploi sur son smartphone. Parfois, les smartphones ou tablettes d’occasion sont aussi trop dépassés pour les dernières mises à jour et certaines applications.

L’accès à Internet n’est pas facile non plus. La couverture du réseau pose encore des problèmes : les « zones blanches » sont des zones où la vitesse du réseau est faible (surtout en Wallonie). Une autre difficulté consiste à gérer les abonnements Wi-Fi et téléphoniques. Nous connaissons une militante qui ne veut pas s’engager dans un abonnement fixe. Chaque mois, elle achète deux cartes prépayées de 10 euros si son budget le permet. Elle dispose ainsi de 4 GB, alors que presque tous les opérateurs offrent aujourd’hui davantage pour le même prix. Dans de nombreux lieux publics, vous pouvez utiliser le wifi gratuit, mais vous devez savoir comment sélectionner une source wifi sur votre smartphone.

Vient ensuite le défi de la multiconnectivité : savoir passer d’un appareil connecté à un autre – téléphone, ordinateur, imprimante, casque, appareil photo, lecteur de carte d’identité, etc.

 

Ce n’est pas pour moi

Une deuxième dimension réside dans la maîtrise des appareils numériques eux-mêmes. Par exemple, l’une de nos membres ne décrochait jamais lorsque nous l’appelions, mais elle nous rappelait toujours immédiatement. A posteriori, elle nous a expliqué qu’elle ne savait pas comment décrocher avec son smartphone. Il s’agit également de comprendre les interactions avec le logiciel. Vous devez comprendre ce qu’est une application et comment elle se télécharge.

L’exclusion préalable crée un manque de confiance en soi, ce qui renforce ce manque de compétences numériques. Nous entendons souvent : « Je suis trop bête pour utiliser cet outil » ou « ce n’est pas pour moi ». Et même ceux qui veulent se lancer partent d’emblée avec un énorme désavantage, dû au manque de compétences linguistiques (lire et écrire, être confronté à des sites et des programmes avec une langue spécifique) et à la masse d’informations à traiter (conditions d’utilisation, mises à jour, notifications).

 

Services essentiels

Une troisième dimension est l’inégalité dans l’utilisation des services essentiels. 85% des Belges utilisent l’internet au quotidien, principalement pour des services en ligne : e-banking, e-commerce… Mais 57% des internautes ayant un faible niveau d’éducation ne parviennent pas à effectuer des démarches administratives en ligne, même si elles sont obligatoires.

Une difficulté supplémentaire est l’utilisation critique des outils, qu’il s’agisse des médias, des réseaux sociaux, de la menace des phishing, etc. Il est parfois difficile de savoir si ce SMS soi-disant de la banque ou de la police est authentique ou non.

 

Digibuddies

Toute personne devrait se sentir capable de faire face à ce genre de problèmes, sans être dépendante des membres de sa famille, de ses amis ou des travailleurs sociaux. En même temps, le défi est si grand qu’il devrait toujours être possible de faire appel à une aide humaine. ATD Quart Monde ne veut pas remettre en cause les immenses avantages technologiques du numérique, mais suit la ligne d’équilibre : non au 100% numérique, non au 100% papier, oui au 100% accessible.

En 2020, nous avons organisé une université populaire en Flandre sur le thème de la fracture numérique.  Environ la moitié des participants ont déclaré qu’ils maîtrisaient bien leur ordinateur et internet, et ce avec plaisir. L’autre moitié reconnaissait qu’elle peinait avec ces outils. C’est ainsi que nous avons eu l’idée de mettre en place une action : les digibuddies. Cette action prend la forme d’ateliers de pair-aidance, où des personnes vivant dans la pauvreté aident leurs pairs pour leur donner confiance dans l’utilisation de leur smartphone ou de leur ordinateur. Les digibuddies partagent leurs connaissances avec les participants, en maintenant une relation étroite sans créer de dépendance. En 2021, des sessions ont été organisées à Ostende, Willebroek, Bruxelles, Hasselt et Bossuit.

Quelques chiffres

6% de la population belge ne dispose pas d’une connexion Internet à domicile

30 % des familles à faible revenu ont des problèmes avec l’internet, contre 1 % des familles les plus riches.

32 % des Belges ont de faibles compétences numériques

 

Julien Sébert

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