Non aux traitements dégradants

Une opinion de Georges de Kerchove, juriste et membre de l’équipe nationale du mouvement ATD Quart Monde en Belgique.

À certains moments, sans doute trop rares, je me sens fier d’être belge. L’engagement citoyen autour des réfugiés du parc Maximilien fait partie de ces moments. Des citoyens venus d’horizons très différents s’organisent, vont à la rencontre de « l’étranger », refusent le sort indigne qui lui est réservé, et s’inscrivent à contre-courant d’une méfiance spontanée à l’égard de « l’autre ».

Certains de ces migrants, parfois en transit, se trouvent dans une situation inextricable. Rejetés de partout, acculés pour quelques-uns à l’illégalité en application du règlement de Dublin qui justifierait leur expulsion, ils focalisent les contrôles que les autorités veulent toujours plus efficaces, quitte à banaliser les perquisitions et à multiplier les raids policiers.

En réalité, en se donnant pour objectif  d’humaniser la politique d’asile, cette solidarité citoyenne n’exige rien d’autre que le respect des droits de l’homme. Dans leur radicalité. Il est en effet inadmissible d’abandonner des êtres humains dans des conditions inhumaines. Personne ne rompt avec sa famille et ses racines de gaité de cœur et c’est pur cynisme que de prétexter le choix – peut-on parler de choix lorsqu’il est dicté par le désespoir ? – de vivre dans la clandestinité pour infliger à quelqu’un des traitements dégradants. Ceux-ci sont visés par l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme et la Cour a déjà estimé qu’il y a violation de cet article si une famille est condamnée à survivre dans des conditions de dénuement extrême [note]Voir arrêt de la CEDH du 7 juillet 2015, V.M. contre Belgique, requête 60125/11[/note].

J’établis un parallèle entre la situation des réfugiés du parc Maximilien et le sort réservé aux personnes vivant à la rue. Quelles que soient les différences de statut ou d’histoire de vie, les uns et les autres sont soumis à une précarité intolérable qui porte atteinte à leur dignité. On veut les criminaliser et les faire disparaître de l’espace public, en décrétant qu’ils sont nuisibles, mais ils sont là et font partie de la communauté humaine. Qui plus est, par une rhétorique de fake news, on fait croire aux seconds que la présence des premiers constitue une menace pour leur bien-être.

Le Soir, 27 février 2018

Je ne veux pas entrer dans le débat d’arrière-garde de savoir si en période de grand froid, il faut ou non embarquer de force les personnes vivant à la rue pour leur éviter de mourir d’hypothermie. L’idée n’est pas neuve, elle a déjà été mise en application dans différentes villes européennes qui ont systématiquement embarqué des sans-abri dans des centres d’accueil, comme des animaux errants dans des fourrières. Cette pratique indigne n’a jamais rien réglé, et ne sert qu’à occulter les carences d’un pays qui n’a pas la volonté politique d’assurer à chacun de ses habitants un logement décent. Un pays qui vient de transformer les occupants des squats en délinquants…

La Région bruxelloise n’a construit ces dernières années qu’un nombre dérisoire de logements sociaux[note]Voir La Libre Belgique du 12 février 2018[/note]. Plusieurs grandes villes criminalisent la mendicité. De nombreuses communes rechignent à inscrire en adresse de référence les personnes à la rue, et à de rares exceptions, refusent de réquisitionner les immeubles inoccupés. Aussi longtemps que les autorités politiques, quelle que soit leur niveau de pouvoir, ne font pas de la lutte contre la pauvreté une priorité, je ne puis prendre au sérieux leurs initiatives d’embarquer soit disant pour leur bien les personnes vivant à la rue.
Pourtant, je suis fier d’habiter un pays dans lequel peuvent émerger des solidarités citoyennes…

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